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GRANDGOUJON

avec les bouchons, je vous déclare que je me sens, ce soir, plein de hardiesse et de courage !

— Dieu ! Il va nous tirer dessus ! cria Moquerard.

— Par courage, j’entends espérance.

— Ça, c’est le vin ! reprit Moquerard.

— Non ; c’est la foi dans mon pays. Je vous dis en vérité…

— Voilà qu’il parle comme l’Évangile, dit Moquerard.

— Je vous dis que nous sortirons de ces horreurs avec avantage, et la fin… est peut-être plus proche qu’on ne pense !

— Ils sont tous saouls ! Bravo ! Bravo ! Un bouchon ! Deux bouchons ! Bravo ! Bravo ! dit Moquerard.

Et on se sépara, en évoquant tout à coup avec regret la pauvre Madame Grandgoujon qui aimait les réunions jeunes et gaies.

Le soldat avait l’air de les aimer aussi, car ému par ce qu’il avait absorbé, il s’en allait mollement, continuant de rire. Le petit réfugié suivait, redevenu muet, pendu à la capote du bonhomme.

— Je vais te reconduire à ton train, vieux camarade, dit Grandgoujon. Puis je ramènerai ce gosse-là chez moi.

Sans se presser donc, ils prirent trams et métro, nonchalants, heureux, reparlant du mousseux ainsi que du petit rouge. Ils arrivèrent à la gare, et le soldat retrouva sa femme, qui roula tout de suite des yeux égarés :