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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/187

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

donc visiter ce que la marine britannique, pourtant forte dans tous les temps et plus riche, que toute autre, a créé jusqu’ici de plus puissant et de plus magnifique. Et à la porte du chantier il ne leur dit pas : « Attention ! Ouvrez les yeux ! » Il laissa M. John Pipe s’abandonner à sa surprise et faire un « oh ! » d’étonnement.

Le décor, cependant, n’avait aucune splendeur. Un paysage pauvret, dans un vent aigre, sous un ciel morne. Rien, vraiment, qui soit l’aide de Dieu ; mais dans cette médiocrité naturelle, une création prodigieuse de l’homme. Ce que nos yeux trouvent grand n’est, maintes fois, qu’enchantement de la lumière qui caresse, habille et transfigure. Mais quand les choses sont seules et nues, dans un jour gris, il faut que le génie les marque fortement pour qu’elles puissent agrandir encore nos yeux blasés. Le cuirassé anglais que Barbet et M. John Pipe virent, par ce jour sans soleil, n’a pas d’égal au monde : il s’impose par son seul aspect.

Il est massif et somptueux, mais il a de la grâce, et ses lignes sont douces. Il est terrible dans sa simplicité. Lourd, il étale de larges flancs pour contenir mille marins ; mais sa poupe est légère, et il y a, dans sa proue mince, une audace