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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/188

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

orgueilleuse. La loyauté des hommes qui l’ont construit, comme de ceux qui mourront pour le défendre, est marquée dans la franchise avec laquelle il fut conçu, dessiné, façonné. Cet énorme colosse de guerre, qui aurait pu n’être qu’une forte machine horrible, a de la noblesse et de la conscience. N’importe quel pavillon ne pourrait flotter sur lui ; par sa forme il figure l’âme d’une nation juste. M. John Pipe, grand amoureux de la paix, sentit le levain de la guerre qui gonflait dans son cœur ; et tout de suite il voulut voir l’homme qui possédait ces chantiers, et qui pourrait dire :

— Ce navire est sorti de chez moi… ce navire qui évoquait déjà des combats et des tempêtes, du sang, des morts, ce navire, image héroïque et effrayante de l’Âge moderne, de quoi faire fuir tous les vieux Dieux de la mer, accoutumés pourtant aux choses farouches, — quatre cents ouvriers l’achevaient et grouillaient dessus ; et mêlé à ces gens, indistinct, fait comme eux, surveillant, travaillant, le « patron » qui devait mettre sa marque sur ce monstre, passa sans que M. John Pipe pût distinguer, ni aux yeux, ni à l’habit, que c’était un des hommes importants de l’Angleterre.