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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/189

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

L’important c’était que le cuirassé fut prêt à défendre le pays quinze jours plus tard. Par sa coque, depuis six mois, il était déjà tel qu’il continuerait d’être ; mais c’était un œuf énorme où la vie couvait. Tout prenait corps et s’achevait, se fignolait ; il était sa propre usine, à la fois l’atelier, la machine et la chose énorme créée. Et le jour où il prendra la mer, on verra s’échapper toute une fourmilière d’hommes et de femmes que son ventre aura l’air d’enfanter, et qu’il rendra simplement à la terre et à ses chantiers..

Les machines fantastiques, les blockhaus, épais comme des tours de château, tout est entre les mains d’un peuple d’ouvriers qui dégrossissent, taillent, liment. On vernit, on polit ; tout l’acier et le cuivre de l’intérieur éclate ; et l’on dirait que c’est lame du cuirassé qu’on cherche et qui brille. Mais sur les ponts et entreponts, des peintres s’évertuent, au contraire, à ternir tout de tons gris, car il faut que le corps, lui, reste sévère, et ces longs canons monstrueux, dont la gueule, au repos, est déjà une menace, sont d’une couleur éteinte, qui refusera le plus petit reflet au soleil.

Dès qu’on s’enfonce dans cette large et puis-