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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/214

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

dans un grand quotidien de Paris. J’ai fait là des campagnes retentissantes, dont, peut-être, vous avez entendu parler.

— Yes.

— C’est moi qui, quelques mois avant la guerre, visitant les forts de l’Est…

M. John Pipe se pencha vers Barbet.

— Mongsieur Bâbette, je crois mongsieur Elphinston, Ministre au Ravitaillement, il veut dire quelque chose.

Barbet regarda le Ministre. Le visage de ce dernier était transformé. Il était fort rouge, et, papillotant des yeux, paraissait bien ému. Depuis dix minutes, ne pouvant parler avec ce journaliste, car il ne connaissait pas un mot de français, il tentait du moins d’être aimable et bon, lui passant le sel, le sucre, le vin, le pain, et chaque fois il souriait ; mais maintenant que le repas touchait à sa fin, il voulait plus et mieux. Il se leva, il regarda fixement Barbet : ses yeux s’embrumèrent d’émotion. Il boutonna sa redingote pour sembler plus correct et pour que ses paroles eussent un air officiel ; puis, ouvrant grand la bouche, comme s’il craignait d’être mal compris, — guindé, maladroit, follement troublé et bien touchant, levant son verre, fixant des