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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

sa machine à combien elle en était depuis le matin : cent cinquante, cent cinquante-deux. Elle avait des manches courtes, qui laissaient voir un bras clair et charmant, jeune et tendre et ne paraissant pas fait pour ces lourds travaux de guerre ; mais elle s’en acquittait avec tant de grâce que Barbet ne pouvait plus la quitter des yeux, et il vit bien, en Français polisson, que lorsqu’elle tournait la roue de son tour, elle avait un joli mouvement de poitrine qui était une promesse de bonheur pour l’artilleur français.

Il s’approcha, la regarda, lui sourit. Le patron, en anglais, dit :

— Madame, ce monsieur est un journaliste français.

Alors, la petite lâcha ses outils, dressa tête et poitrine, et bien campée, cambrée fièrement, avec un accent indéfinissable et montrant tous les obus de l’atelier :

— Qué nouba, mongsieur, s’écria-t-elle, penser z’autres là-bas, auront ça sou le gueule !

Barbet éclata de rire. Il voulut lui serrer la main. Tout l’atelier regardait. Le vieux patron avait les larmes aux yeux, et le superbe Si Hadj ben el Haouri murmura :