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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/32

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

qui ne l’intéressèrent pas, car ils ne contenaient aucune nouvelle britannique.

— Des canards, murmura-t-il ; nous Français ne possédons que des canards !

Il fouilla dans son pardessus, prit son Shakespeare, l’ouvrit à une scène entre Hamlet et sa mère : « Cessez de tordre vos mains ! dit Hamlet. Paix ! Asseyez-vous que je vous torde le cœur ! Car ainsi je ferai s’il est de matière malléable, et si l’accoutumance damnée ne l’a pas bronzé. »

Là-dessus, il réfléchit : « C’est rudement fort. » Il ferma son livre, installa ses coudes sur les appuis-bras et s’assoupit.

Il se réveilla un peu avant Amiens. Il sortit son manuel de conversation.

— Si, à l’arrivée, je trouve des Anglais… qui ne sachent que l’anglais…

Et il parcourut les formules proposées par l’auteur :

« Comment s’appelle cette station ? »

« Avez-vous quelque chose à déclarer ? »

« À quelle heure repart l’express ? »

Il se dit : « C’est idiot ! » rangea le manuel, regarda le paysage qui était hivernal, et vingt fois sa montre qui tournait lentement. Puis, à Amiens, il descendit, affectant un air calme, mais il cher-