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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/80

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

— Par exemple, je sais pas le côté dont le village était en relation à la route.

À droite, à gauche, en face, partout à portée des yeux c’était le même immense ravage, mais deux compagnies de la Garde de Londres, qui compte parmi ce que l’Angleterre a de plus noble et de plus brave, occupaient ce fantôme de pays, et l’on pouvait, tout ensemble, saisir là, sur le vif, l’horreur que l’homme peut engendrer et quelle résurrection il sait faire, quand il veut.

Ces combattants de la Garde s’étaient changés en chiffonniers ; ils avaient des pelles, des pioches, des crochets, et ils grattaient, ils exhumaient… quoi donc ?… ah ! de petites choses magiques !… Sans s’en douter ils avaient des gestes de poètes, ces grands réalistes. Là où les canons avaient pulvérisé des villages, ils fouillaient la terre décomposée ; ils en sortaient des bouts de briques d’un rouge vivant ; ils les transportaient et les broyaient sur un chemin nouveau que leurs pioches venaient d’ouvrir dans le liane de cette terre inerte ; et à mesure que leurs travaux et leurs efforts s’ajoutaient, dans ce paysage cadavérique, mort jusqu’à l’horizon, on voyait s’avancer une route énorme, écarlate, large de