Page:Benoit L Atlantide.djvu/310

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que j’ai une vision trop exacte de cet avenir que je prétends m’anéantir dans la seule destinée qui en vaille la peine : une nature insondée et vierge, un amour mystérieux.


Une nature insondée et vierge. — Il faut que je t’explique. Une fois, dans une ville populeuse, un jour d’hiver, tout zébré de la suie qui retombe des noires cheminées d’usines et de ces affreux caravansérails que sont les maisons des faubourgs, j’ai suivi un enterrement.

Nous accompagnâmes le convoi dans la boue. L’église était récente, humide et pauvre. À part deux ou trois personnes, des parents abrutis par une douleur morne, tous les gens du cortège n’avaient dans les yeux qu’une idée : trouver un prétexte pour prendre la tangente. Ceux qui vinrent jusqu’au cimetière furent ceux qui ne trouvèrent pas ce prétexte. Je vois les murs gris avec les ifs miteux, les ifs, ces arbres de soleil et d’ombre, si beaux dans les paysages du Midi, sur une mince colline d’azur. Je vois les hideux croque-morts, en jaquettes graisseuses et tubes cirés. Je vois… Non, tiens, c’est horrible.

Près de la muraille, dans un canton reculé, un trou était creusé dans une affreuse glaise caillouteuse et jaune. C’est là qu’on laissa ce mort dont je ne me rappelle plus le nom.

Pendant qu’on l’y faisait glisser, je regardais mes mains, mes mains qui avaient pressé, dans un paysage d’une lumière unique, les mains d’Antinéa.