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confondre avec ces compositions délicieuses que nous appelons de nos jours du nom de poésie. Ces dernières sont d’une source différente et appartiennent à une époque de beaucoup postérieure. Elles doivent leur création au génie moderne, mais, au lieu d’être le fruit de son état premier et pour ainsi dire informe, elles sont le résultat d’une longue suite de temps meilleurs pendant lesquels l’intelligence générale de la société ayant été en progressant, le goût et l’imagination se perfectionnèrent aussi.

»….. La poésie anglo-saxonne présente surtout du sentiment, mais un sentiment vague et mal défini qui n’est pas exprimé dans des termes ou des images propres à la produire chez les autres. Un sentiment fortement héroïque remplit l’esprit de l’écrivain, mais il est plutôt exprimé par des paroles violentes que par l’effusion réelle ou l’analyse de l’émotion véritable. »

Les modernes, choqués de l’affectation de cette poésie, ne lui ont pas du reste épargné leurs critiques.

« En Norwége, dit Lüning dans son introduction à l’Edda, l’ancienne poésie populaire épique ne s’éteignit pas non plus tout d’un coup, mais elle recula toujours de plus en plus devant la nouvelle poésie des Scaldes qui était principalement en usage dans les cours. Cette poésie scaldique qui avait pour thème principal la louange des princes présentait, par ses ornements exagérés, un tel contraste avec la simplicité de la poésie populaire que les Scaldes ne pouvaient plus reconnaître aucun art dans cette dernière ; ils ne la connaissaient pas du reste, encore bien qu’ils fussent initiés aux mythes qui en formaient le fond et dont ils faisaient usage en faveur de leurs enjolivements de mauvais goût. Jamais le mépris de la poésie populaire et l’inaptitude à en comprendre la beauté ne se sont plus cruellement fait sentir que dans la poésie des Scaldes qui, par son exagération et son manque de naturel dans les termes et dans les figures — car le mot affectation (Künstelei), comme le dit justement