Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/178

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Chaque soirée où, sous les feux du lustre, elle venait étaler banalement aux quinze cents rivaux anonymes de la salle les trésors de sa carnation voluptueuse, lui, renouvelait les affres de sa joie dolente, et si, dans le hasard des jeux scéniques, le regard de l’adorée se posait sur lui, à l’orchestre, il s’effaçait derrière la contrebasse de Violier, son voisin de pupitre et son camarade de la « pépinière », et il y couaquait, effaré, et sans embouchure.

Géraldine, cela va sans dire, ne savait rien de cet amour clos à verrou et à serrure. Non seulement elle n’avait jamais remarqué le tibi-cineur difforme, mais elle a confessé depuis que, dans la masse confuse des accompagnateurs, elle ne l’avait même jamais « vu ». « Pouvais-je me douter ? » demandait-elle. Plusieurs fois, elle avait bien trouvé dans sa case, chez la pipelette, des rouleaux de musique pour flûte, mais ils étaient sans paroles, et pas signés. Comment veut-on que l’on devine ?

Il y avait bien eu cette répétition où, insultée et maltraitée par Bricolet, elle avait été défendue par ce petit machiniste — car elle avait toujours cru que c’était un machiniste — qui s’était jeté entre elle et la brute, et qu’on avait emporté, à demi assommé, couvert de sang,