Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On ne les juge même pas, me disait-il, on les pousse en tas, comme des bêtes, sans les entendre, et les Cafres sont moins rudes pour les captives qu’ils enlèvent que nos policiers pour ces chrétiennes. Il y en a pourtant d’honnêtes dans ce troupeau de douleur, mais oui, de très honnêtes même, monsieur le tortoniste, et si je vous racontais…

« La plus malheureuse est sans contredit la fille en carte. Vous n’ignorez pas à quelles mesures de police elle doit se soumettre pour exercer son lugubre négoce. Elle est inscrite sur un registre secret du bureau des mœurs, et jamais, vous m’entendez bien, jamais plus, se fût-elle rachetée cent fois par une conduite exemplaire, elle n’est rayée du livre d’infamie. J’en ai vu, moi qui vous parle, se rouler aux pieds du chef de ce bureau, lui tendre leur enfant, perdu par la tare maternelle, et s’en aller hagardes et battant les murs, sans avoir rien obtenu. Et tenez, c’est là que j’ai compris qu’il n’y pas de malhonnêtes femmes et que c’est le Christ qui a raison. Il est parfaitement exact et scientifique en physiologie que l’amour refait une virginité. Quant à la maternité, c’est de sainteté, ni plus ni moins qu’elle les revêt. Mais passons.

« Le registre est secret, vous ai-je dit, et