Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/277

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Or, Pétrus avait rencontré, deo volente, ce modèle en Marina, simple commerçante du quartier, mariée, je crois, à un charcutier. Inutile, comme on voit, d’aller perdre quatre ans de sa vie à Rome. Aucune femme de Paris n’est insensible, et ne peut l’être, à l’adoration qu’elle inspire à cet ouvrier de la beauté qu’est l’artiste. Outre qu’il avait le verbe prenant de son maître même, il était de la race ensoleillée, trempé en jeune Alcide, et sa volonté d’amour lui flambait aux yeux. Aussi ne fut-ce pas long ; elle alla à son sort terrestre, et sans songer à l’autre. Depuis deux mois, elle lui incarnait, debout et sans voiles, l’Aphrodite naissant, de l’écume de la mer.

Le désastre était effroyable. Sous l’action corrosive de l’acide sulfurique, le pauvre charmant visage, si pur de galbe, si tendre de lignes, couronnement d’un corps triomphal, clef de sa forme voluptueuse, coup de pouce enfin du divin modeleur des types et des espèces, n’était qu’une éponge sanguinolente où s’embroussaillaient les cheveux et la voilette. Un interne ami, ramené par les camarades, était accouru presque aussitôt et déjà muni des objets nécessaires au premier pansement. Il souleva d’abord l’une et l’autre paupière,