Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/49

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Dupont dormait donc enseveli dans son caveau de famille et vingt personnes arrêtées pour son étranglement avaient été relâchées, avec ou sans excuses, lorsqu’un petit bonhomme rabougri, chétif, et parfaitement conforme, moins le foulard rose, au signalement dédaigné du surveillant de la sortie, se présenta chez le procureur de la République.

— Ne cherchez plus, lui dit-il en souriant, c’est moi. Je me livre. Vous avez devant vous le meurtrier du train 1227, compartiment 184. Des faibles mains que voici, emmanchées aux débiles bras que voilà, j’ai strangulé d’un coup, et tel un Milon de Crotone son lion, le voyageur inconnu, que je pleure d’ailleurs autant que vous. Mon nom est Martin. Appelez les gendarmes.

Et comme, interloqué malgré son exercice professionnel du cœur humain, le procureur insistait pour connaître le mobile du crime :

— Je ne le révélerai qu’au tribunal, fut la réponse.

Et, énigmatiquement, le petit Martin ajouta :

— Pour me comprendre, pour m’absoudre peut-être, le jugement d’un seul homme ne suffit pas. Il y faut une réunion d’êtres humains ayant souffert ce que j’ai enduré et solidaires