Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque l’ours de Félicien Mallefille, un peu las de danser tous les soirs sur le mont Sainte-Geneviève, commença, à la centième, à demander grâce, Larochelle s’enquit dans les ménageries. On lui signala, chez Édouard Cadol, un plantigrade à longs poils, aussi chenu que l’autre, et nommé mélancoliquement Les Inutiles. Il y courut et l’emporta sans même le regarder.

— Un mot, un seul, avait-il dit à Cadol, combien a-t-il de carton ?

— Douze ans.

— Il suffit. Douze chances de réussite.

Les Inutiles, en effet, décrochèrent à leur tour la timbale. C’est comme le pape, vous dis-je. Et Larochelle, tranquille, fit construire.

Il fit construire à Meudon une jolie villa, entourée d’un jardin délicieux, où des jets d’eaux qui ne se taisaient ni jour ni nuit, répandaient leur bruine argentée sur des corbeilles de fleurs enchanteresses.

— Allez, marchez, avait-il dit à son architecte, rien à craindre. Je sors de chez Erckmann-Chatrian, où il y avait, le croiriez-vous, comme une odeur de fauve !… J’ai le nez à ça, et mon flair devient mohicanesque. Figurez-vous que je passais dans la rue, en songeant à fêter la deux centième des Inutiles, qui me paie mon deuxième étage. Erckmann fumait, à la fenêtre, une grande pipe alsacienne qui, seule, le fait distinguer de son siamois de collaborateur. Tout à coup, un grognement sourd… Alors je monte. « Donnez-le-moi, leur dis-je, pour mon troisième étage. » Ils me regardent, un peu effrayés. Ils ne me connaissaient pas. « Je suis Larochelle. — Ah ! bon ! prenez-le. » Et je l’ai. Il s’appelle Le Juif Polo-