Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/192

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Aussi peu préparés que nous fussions au coup de torchon, les événements se précipitèrent avec une fatalité singulière. La guerre fut officiellement déclarée au roi Guillaume le 19 juillet, et le 20 les sept corps d’armée prenaient leurs positions stratégiques. Entre les chefs qui les menaient, trois au moins faisaient figure de héros : Mac-Mahon, Canrobert et Bazaine. Avec la puérilité cabotine qui caractérise les tacticiens en chambre, nous leur prêtions, sur leurs légendes, toutes les vertus militaires et toutes les chances aussi, que contresigne le bâton de maréchal de France. On s’arrachait leurs gloires. Canrobert avait la Crimée, Bazaine avait le Mexique, Mac-Mahon, Solférino et l’Italie. Et nous étions fort divisés, sans savoir pourquoi du reste, car l’art de Jomini nous était le plus fermé de tous les arts. Moi, j’en tenais pour Mac-Mahon. Il m’incarnait le troupier français. Dans mes batailles de soldats de plomb, c’était lui qui enlevait les positions et plantait le drapeau au sommet des collines. On a un idéal de vaillance comme on a un idéal de beauté. Ce gentilhomme au nom irlandais, souple, élégant au feu, dressé aux exploits d’Afrique qui sont des chasses à l’homme, me réalisait le guerrier chevaleresque des poètes. Il était beaucoup plus que Canrobert même celui que j’aurais voulu être. Quant à Bazaine, par un instinct dont je ne me vante nullement, je le laissais aux camarades, et notamment à Zizi, qui le gobait des pieds à la tête.

— Tu verras ce que je te dis, me vaticinait-il, c’est Bazaine qui leur flanquera la tatouille. Du reste, veux-tu parier ?…