Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/196

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suivirent le sort fut le même, je dus me résigner à croire que, pour la qualité, je n’étais qu’un auteur de famine, et quelque chose comme le merle qu’on mange à défaut de grives.

Aussi me le tins-je pour dit pendant quelques années, celles de sagesse. Mon tort (et qui n’en a ?) fut de ne pas me plier à cette leçon des choses, et d’oublier l’oracle de mon Cuirassier. La Comédie-Française, sous un règne plus doux, accueillit quelques essais de ma veine, elle les joua même, car il faut bien en venir à cette extrémité, et trois fois j’ai regretté son ingratitude. Il vaut mieux pour un La Châtre rester à la porte de Ninon que d’être, après une nuitée, flanqué par la fenêtre.

Les providentiels cinq louis de Villemessant tombaient donc à pic et à miracle, d’abord pour alimenter les bonnes et nobles bêtes qui me faisaient l’honneur de partager mon radeau de la Méduse, puis pour hospitaliser à l’écossaise mon camarade mentonnais, l’homme aux papillons, enfin pour désintéresser un peu une admirable femme de ménage qui venait tous les jours nous enseigner l’art de l’omelette, et nous en apportait le beurre et les œufs. Si la bonté disparaissait de ce monde, où, d’ailleurs, elle est rare, on la retrouverait dans l’âme d’une femme du peuple de Paris. Mme Labit était la femme d’un charron des omnibus du dépôt des Ternes. Elle s’était maternellement attachée à notre groupe de bohèmes et, sans comprendre au juste à quel métier obscur nous nous adonnions, puisqu’il ne nous rapportait pas le pain du jour, elle aimait notre gaieté, et parait de son mieux au désordre du capharnaüm.