Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/200

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C’est, à mon sentiment, le résultat le plus néfaste du coup de botte de Bismarck. La force a, de tout temps primé le droit et son lieu commun est vieux comme le monde, mais l’esprit primait la force et on se sentait, chez nous, en équilibre. Que Dieu nous rende cette ironie dont Francisque Sarcey a pu dire, si terriblement, qu’elle n’était plus comprise en France et que Paris même n’en voulait plus. Les tyrans n’ont peur que d’elle, et de tous les instruments de musique militaire le fifre est celui qui domine les autres.

La crise morose se détermina le 1er septembre 1870, à la nouvelle de la déroute de Sedan. Elle nous avait été assénée sur la nuque à la suite d’une fausse joie, celle d’une victoire de Mac-Mahon à Landau, accueillie encore à la française, blague et crédulité mêlées. Mais Sedan nous démonta. La raillerie boulevardière passa la torche à l’outrage. Les journaux commencèrent à détonner, ou plutôt à donner le ton de l’invective sur le diapason de la frousse. Dans les réunions et dans les rues, les violents s’emparaient du crachoir et ils y salivaient l’imprécation du style d’émeute, dit : des mauvais jours de notre histoire. L’impératrice régente écopait durement, et, toute galanterie cessante, on la balafrait du surnom de : l’Espagnole, comme Marie-Antoinette de celui de : l’Autrichienne. Sa fuite la préserva peut-être du sort de son modèle ; car, en vérité, des gens fort doux à l’habitude demandaient sa tête. Une gravure d’Émile Bayard, le dessinateur de L’Illustration, empilait les badauds aux vitrines. Elle représentait l’empereur en calèche, allant rendre son épée au roi de Prusse, sur des morts et des mourants, en fumant sa cigarette. Et personne déjà n’osait plus dire que