Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/210

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J’eus beau lui expliquer qu’un dithyrambe aux beautés de la terre natale se plaçait nécessairement sur les lèvres d’une femme française, il n’y voulut conclure qu’à mon ingratitude, et comme je l’aimais infiniment, je renonçai à la commande. Mlle Favart ne me l’a jamais pardonné et elle ne me rendait plus mon salut lorsque je la rencontrais dans son empire.

Il ne s’est peut-être pas donné de réunions pendant le siège de Paris où quelque amateur de diction n’ait, plus encore que l’ode mac-mahonienne, débité Le Maître d’École. Les acteurs de profession le jouaient en manière de monologue, costumés en instituteur alsacien, quelquefois avec une figuration prussienne. Je ne sais comment, malgré l’investissement, le poème se répandit en province, où sans doute des pigeons voyageurs l’emportèrent. Ma mère, qui habitait à Veules-en-Caux, eut par lui de mes nouvelles. Les Allemands qu’elle logeait, par ordre, lui en remirent un exemplaire, et leur chef, le prince de Liechtenstein, en complimenta ironiquement la pauvre femme.

Deux ans plus tard, chez Théophile Gautier, à Neuilly, une professeuse de déclamation, Mme Ernst, récitait encore l’élégie du Maître d’École dans la famille même où je venais d’entrer, et devant le maître. Et comme il la félicitait :

— C’est, fit-elle, de tous les poèmes de François Coppée celui que je préfère.

— Vous l’étonneriez un peu, souris-je, en l’en assurant.

Et Gautier conclut :

Sic vos non vobis, de quoi te plains-tu ? C’est le sort de Virgile.