Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/215

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nous amener, un jour ou l’autre, du champ de bataille, et qui ont droit à leur ignorance.

— On n’a jamais droit à l’ignorance, tranchait Maubant, irrité.

— Je le leur expliquerai, moi, Voltaire, s’écriait Coquelin, et je leur en lirai. On ne confisque pas la gloire, on ne voile pas les grands hommes !

— Qu’est-ce que tu leur liras, demandait Got, Zaïre ou La Pucelle ?

— Je leur lirai Candide !

— Candide toi-même ! Ils n’entendent que le bas-breton. Laisse donc les gens mourir dans leur langue.

Et le Voltaire resta ainsi sous les planches pendant toute la guerre. Il n’avait pas mérité cet emprisonnement, même par la Henriade, où il y a un autre siège de Paris, embêtant, mais patriotique.

Les dames ambulancières, Madeleine Brohan, Favart, Jouassain, Victoria Lafontaine, Édile Riquier et Émilie Dubois s’étaient réservé le salon vert, d’où elles allaient prendre à tour de rôle leur service de gardes-malades. C’était autour de la grande table de lecture, encombrée de corbeilles de laine et d’ouvrages de femme, qu’on les trouvait réunies, avec leurs tabliers blancs d’infirmières, le dé au doigt, avenantes, jolies, et comme radieuses de leur avatar. Elles avaient l’air d’avoir pris le voile. Elles rendaient des gestes de nonnes, tournaient comme sous les arcades d’un cloître, souriaient en dessous, comme à la dérobée, et caquetaient à mi-voix, sous l’œil de la mère abbesse du jour.

— Il ne manque ici, mes sœurs, disait galamment M. de Tillancourt, que Molière mourant !…