Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/22

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navré quand, sur la tête, lui tomba, d’un toit, la tuile qui mit fin à sa carrière ! Celle de la lettre fausse m’aplatissait dans l’âme la plus chère croyance de ma jeunesse — avec tout le programme, fidèlement suivi, qui me prescrivait de lâcher le Napoléon en tunique et de « tourner mon généreux esprit vers le peuple et la liberté ! »

Je n’avais obéi, en m’y conformant, qu’à l’oracle de la belle Juliette, sibylle, il est vrai, mais sans anneau, du rocher fatidique et battu des tempêtes ! L’autographe, tiré au sort par tant d’hugolâtres enthousiastes, était de la plume de la princesse Negroni, de Lucrèce Borgia, seulement, et c’était cette « contrefaçon » qui ornait, encadrée et sous verre, l’étude du malheureux avoué de première instance, Messieurs et Mesdames, devenu illusoirement paléographe et bibliophile à cause d’elle !

Mon devoir était de courir chez Me Émile Collet et de lui tendre la coupe de l’amère vérité. Mais le devoir, dans ce cas, en est-il un ? That is the question, demande Hamlet, et comme je n’avais pas de spectre pour m’y répondre, je m’abstins, et l’avoué mourut heureux.


Il n’y a pas d’épreuve plus anxieuse que celle qui vous met pour la première fois en présence d’un grand homme. On y joue la partie de la déception, quelquefois du réveil d’un rêve ; mais en général les poètes répondent assez bien à l’admiration qu’ils inspirent, parce que, grâce à un privilège, qui est un signe, ils sont presque toujours beaux ou remarquables de quelque manière. La nature marque ses chan-