Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/23

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tres. Gœthe, assure Henri Heine, était superbe, et Heine lui-même avait été charmant, nous assure Théophile Gautier, qui fut l’un des spécimens les plus parfaits du type apollonien. J’ai vu quelquefois, au Bois de Boulogne, passer Lamartine « vieilli », entre ses deux lévriers et j’ai toujours éprouvé à son aspect le frisson du surnaturel. La tête d’Alfred de Musset « pose » encore pour les artistes, le modèle d’un Alcibiade moderne. Leconte de Lisle semblait un marbre antique, aussi bien qu’Alfred de Vigny à qui, du reste, il ressemblait comme un frère. Il y avait de l’archange déchu dans Charles Baudelaire, et le front puissamment modelé de Théodore de Banville ne permettait à personne de se méprendre sur les dons sacrés de ce boulevardier attique.

Victor Hugo, on l’a dit justement, c’était le Grand Pan, mais le Grand Pan lui-même, conforme à la donnée mythologique, l’incarnation du panthéisme. On éprouvait, en sa présence, la stupeur de voir un véritable homme-dieu par qui la nature s’exprime, de la voix, du regard, du geste, en qui elle se réalise, visible, tangible, totale, universelle, et familièrement monstrueuse. Oui, en vérité, le Grand Pan, on ne trouvera pas mieux pour le dépeindre, et c’était mon éternel étonnement qu’il ne fît pas, quand il apparaissait, s’enfuir devant lui toutes les nymphes !…

Auguste Rodin, dans le buste synthétique qu’il en a sculpté, un jour de génie, a dû dépasser son art et empiéter sur celui du modèle pour faire rendre à la matière même l’idéal matérialisme du sublime Satyre. Oui, le voilà, c’est bien lui, tel qu’après dix-huit ans de cohabitation avec l’immensité, il nous revint de la Pathmos anglaise, les poils drus et noués,