Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/221

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j’allai porter à la mairie. Ils valaient, au taux d’échange, une « tête-de-mort et demie ». Je gardai la demie et déposai l’entière chez la concierge de Mlle Dubois, quai de l’École, où elle demeurait, sans y joindre de carte. Le lendemain, au théâtre, je m’enquis auprès d’elle, par un détour, du sort de mon présent anonyme. Elle avait apporté le fromage au théâtre, pour les convalescents, sans y toucher.

Mon chat, Point-et-Virgule, commençait à s’absenter plusieurs jours de suite, et un soir je l’attendis vainement. Il ne revint plus jamais, Nevermore, comme dit le corbeau d’Edgar Poe. Où vont les petites âmes de ces êtres fidèles ? Quant à leurs corps, en temps de siège, il n’y a pas à le demander. Il était pourtant bien étique.

Il y avait en face, dans une courette, un galetas en soupente où gîtait un tailleur hoffmannesque, qui rapetassait sans fin une culotte verte. C’était un vieux quarante-huitard chevelu, bancroche et qui était allé avec Cabet en Icarie. On n’en savait pas davantage, même chez la pipelette. Il vivait là, seul, jamais visité, et ne prenant pas de commandes. Le dimanche, il « touchait » de la flûte, non sans agrément du reste. Ce petit talent exerçait une attraction irrésistible sur mon compagnon fourré et la semaine s’achevait pour lui régulièrement sur le concert dominical. Il s’en payait la musique de chambre dans la chambre même et pelotonné sur la culotte verte de Pénélope. Je patientai donc jusqu’au dimanche suivant pour être assuré du sort de la pauvre bête. Si elle n’était pas morte, elle ne manquerait certainement pas son Pasdeloup hebdomadaire. Hélas ! elle le manqua et je connus ainsi que la fée