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Empire, l’Alsace était, grâce à ses artistes, la province la plus populaire de France. Non seulement, et de concert avec la Lorraine même, elle nous avait fourni le tiers de l’état-major de l’Iliade napoléonienne, toujours chère aux chantres de gloire, mais c’était le temps où les romans d’Erckmann-Chatrian fleurissaient leur succès immense. Toute une école de peintres, entre lesquels Gustave Brion, avait mis à la mode les choses et les gens du pays de Kléber et de Kellermann, ses jolis costumes, ses fêtes de famille, ses intérieurs pittoresques, la grâce rose de ses femmes endimanchées. Jean-Jacques Henner, notre Corrège, était, entre tous les maîtres de la palette française, celui qui accordait sur son génie l’admiration universelle, et il nous venait d’Alsace.

En vérité, le chancelier de fer, grand sonneur d’heures psychologiques, avait mal réglé celle-là à son horloge politique pour en tinter le glas de l’annexion, et à ce coup, le cri de douleur atteignait au hurlement. Si nous avions eu alors un Danton, la guerre eût repris d’elle-même à cette injure démesurée. Léon Gambetta pouvait l’être ce Danton, et il est certain qu’il le voulut. L’hommage que Jean-Jacques Henner lui fit de sa célèbre Alsacienne paraît en témoigner, et on se demande encore ce qui découragea le tribun de relever le défi suprême. Je mets en fait qu’aucune injure, ou, si l’on veut, aucun væ victis, ne nous mordit autant aux entrailles que ce vol géographique et ethnographique de nos provinces rhénanes, et qu’aujourd’hui encore, quoi qu’on en dise, la plaie demeure ouverte et fait l’abîme.

Du reste, dès cette époque, les Allemands les plus sages en présagèrent les conséquences fatales. Ils