Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/240

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Que prouve la langue pour des classements politiques ? Rien. Les zingaris et les juifs, restés nomades, parlent leur langue transmise sur tous les chemins des cinq mondes. En Suisse, la moitié des cantons helvétiques s’exprime en tudesque, et l’autre, dirait Voltaire, en welche. Cette divergence y nuit-elle à l’unité ? En France, faut-il rendre l’Armorique celtique à la Grande-Bretagne, la Provence à l’Italie et la Navarre à l’Espagne ? Et cependant ce serait aussi logique qu’il l’a été, à Francfort, d’attribuer l’Alsace à l’Allemagne. Encore reste-t-il à démontrer qu’en y ajoutant la Lorraine, où l’on parle français immémorialement, on ne pataugeait point dans la mare des contradictions.

Oui, en vérité, le système de nationalisation par différence de langages est absurde et il n’y a à y voir qu’une excuse de la conquête, honteuse de ses abus de force ou de chance. Si c’est Napoléon III qui l’a imaginé, le Second Empire n’a eu que le sort mérité par ce coq-à-l’âne ; mais que la philosophie allemande, et je parle de la philosophie historique, celle de Théodore Mommsen, si forte en haute jurisprudence, ait pu y saluer l’équilibre européen de l’avenir, voilà ce qui décourage de penser et même de croire à cet avenir. La règle de la diffusion des langues donnerait l’Amérique et l’Océanie à la race anglo-saxonne, l’Asie à la race chinoise et Confucius aurait, par conséquence, tout ce que lui en laisserait Shakespeare. Ce sont des lois plus profondes qui dirigent les pèlerins de la caravane sublunaire.

Ce qui aggravait la prévarication du démembrement et la rendait intolérable, c’était l’ironie de ce droit d’option que le vainqueur laissait aux Alsa-