Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/252

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où il ne me venait plus d’amis et que la perte de Bistu et de Point-et-Virgule me désenchantait, je ne pouvais m’y résigner. Du reste, je craignais le retour des six fédérés rébarbatifs, et, ni pour or, ni pour argent, je ne voulais égrener des rimes à la Commune. Elle commençait, d’ailleurs, à perdre la tête et, tous les matins, un décret nouveau, improvisé par des chefs en plein désarroi, sonnait sur les murs les prodromes de la déroute.

Ce fut Cadet qui me sortit d’embarras.

— Si tu tiens à filer, me dit-il, rien de plus aisé, je me charge de t’en faciliter les moyens.

Et il me fixa rendez-vous pour le lendemain à l’heure du déjeuner, chez un marchand de vins de Bercy, dont il me donna le nom et l’adresse. C’était un fanatique du comédien, qui en faisait ce qu’il voulait, au doigt et à l’œil. Ce qui rendait la fugue périlleuse, c’était la surveillance des fédérés de service aux portes de la ville et à ses barrières. On ne les franchissait que sur des laissez-passer fort difficiles à obtenir, et que signait Jules Vallès. Telle était la fonction du grand réfractaire, que je ne connus que longtemps après. Il en était fort chiche et la qualité de poète, loin d’être une recommandation à ses yeux, équivalait à un brevet de bourgeoisisme qu’il ne pardonnait à personne. Plus tard, à Londres, il me déclara que si je lui avais demandé cet exeat, il ne m’en aurait délivré le papier que sous pli, comme dans Le Cachet Rouge, d’Alfred de Vigny avec ordre de me fusiller « à la poterne ».

— Un poète de moins, c’est toujours cela d’acquis pour la Sociale !

Il est vrai que le sourire de son regard démentait