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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/32

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mentés alcoolisaient l’atmosphère jusqu’à la place de la Bastille. L’étourdissement nous prenait à la porte cochère et, dans l’escalier, on était gris. Il ne m’en fallait pas moins pour me décider à sonner à la porte du maître, car j’avais une pièce en vers dans la poche.

S’il n’était pas venu m’ouvrir cette porte lui-même, je ne serais peut-être pas écrivain car, sans attendre, et confus de ma témérité, je dégringolais déjà les marches, comme un voleur qui se sauve.

— Vous n’êtes pas patient, me dit-il, ma bonne est au marché, entrez donc.

Introduit dans sa bibliothèque et mis tout de suite à mon aise par un excellent homme que ma timidité gênait plus que moi-même, je ne tardai pas à confesser mon « crime » précoce, et il en parut atterré. La semonce fut cordiale mais énergique. Il connaissait ma situation de demi-boursier à l’institution Favart et, me sachant sans espoir de fortune héréditaire, il se refusait à encourager, même par un conseil professoral, une vocation qui ne promet aux mieux doués que des déboires.

— Je ne veux même pas lire votre essai, me déclara-t-il, allez-vous-en et remportez votre pièce.

Une admonestation nous est d’autant plus sensible que nous la sentons plus paternelle. Fort décontenancé, je n’avais qu’à m’excuser de ma démarche et à m’en aller préparer sagement mon examen de baccalauréat, fixé au début d’août de l’année, et dont quelques mois à peine me séparaient. Je sortis donc, reconduit par le maître — sa bonne étant encore au marché — quand, sur le seuil, ressaisi de la buée alcoolique, je manquai le premier degré de