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et préoccupée avant tout de ne pas laisser les oiseaux du jardin manquer du pain quotidien « qu’on leur doit puisqu’ils chantent ». Lili, influencée par le milieu romantique où elle ne laissait point d’avoir grandi, était la littéraire. Elle s’était même essayée à composer des vers qui, à dire d’expert, « n’étaient pas du tout d’une fichue bête ». Comment une si aimable fille avait-elle coiffé Sainte-Catherine, c’est ce dont Théophile lui gardait doucement le secret, et nul autre que lui ne l’aura su sur la terre. Il y avait là un « sonnet d’Arvers». Je ne me flatte pas d’en avoir pénétré le mystère, mais à certaines allusions rapprochées de certains faits, il m’est souvent venu à la pensée que le drame de la rue de la Vieille-Lanterne n’était pas étranger à ce fidèle veuvage et que le bon Gérard de Nerval n’avait pas été pleuré, dans la famille, que par son ami de jeunesse.

La sœur cadette, Zoé, formait à Émilie un contraste violent. Aussi brune que l’autre était blonde, trapue et vigoureuse que son aînée était svelte et alanguie, elle incarnait à souhait le type mâle de l’ascendance, elle y représentait l’avignonisme du père, Pierre Gautier, d’abord, et ensuite de l’aïeul, Gautier d’Avançon, citoyen redouté de la ville des Papes. La légende familiale représente Gautier d’Avançon comme une sorte d’homme des bois (Gautier, d’ailleurs, en vieux langage, a ce sens étymologique), qui vivait pendant la Révolution dans une retraite du mont Ventoux, d’où il lapidait les soldats des proconsuls. Zoé était de cette trempe, et si Théophile avait eu encore des créanciers, sous son règne, elle leur eût bellement fait choir la Victoire du Parthénon sur la tête. Le poète avait pour elle une