Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/340

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était marqué de la griffe du lion. Comme en outre Victor Hugo l’avait offert à bon titre d’authenticité, on n’avait pas à douter d’une telle caution, et l’on n’en doutait pas.

À la vente de Gautier, en janvier 1873, Alice Ozy voulut le ravoir. Or, si riche qu’elle fût, elle ne laissait pas d’être économe, et, quitte à déprécier le baiser dont elle l’avait payé, elle imagina, pour l’acquérir à bas prix, d’en contester elle-même l’attribution chez l’expert. J’étais chez cet expert, où de concert avec mon beau-frère, Théophile Gautier fils, je rédigeais le catalogue de la vente, lorsqu’elle se présenta, fort agitée.

— C’est ma conscience qui m’amène, nous dit-elle. Le Combat du Giaour n’est pas de Delacroix, et j’en sais quelque chose, peut-être puisqu’il m’avait été donné par Victor Hugo, après avoir appartenu à son fils Charles. Tous mes amis l’ont vu chez moi et c’est parce que Théo en raffolait que, pour lui faire plaisir, je lui ai dit un jour : « Emporte-le. »

— Mais, s’il n’est pas de Delacroix, madame, avait fait Théophile, de qui est-il, car je l’ai toujours vu chez mon père, et traité avec les honneurs dus à son illustre auteur ?

— Du reste, confirmai-je, comment Victor Hugo, la probité même !… Il n’y a qu’à vous regarder pour jurer que c’est un Delacroix et même l’un de ses chefs-d’œuvre !…

— Eh bien ! non ! C’est un Poterlet.

— Un Poterlet ? avait relevé l’expert. Je connais tous les peintres passés, présents et futurs, mais je n’en connais pas du nom de Poterlet.

— Poterlet est mort, reprit-elle, mais c’était un