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et, sur la foi d’une barbe si primesautière, Édouard Thierry me contesta d’abord l’expérience du sujet.

— Vos sorties du dimanche, me dit-il gaiement, ne suffisent pas à me la garantir.

Puis il me soumit à l’épreuve des retouches et modifications que j’ai, plus tard, qualifiées de : tripatouillage. Déjà, en ce temps-là, c’était le gâteau de miel qu’il faut jeter, pour passer, au Cerbère de l’Arverne théâtral. Et le jour de la lecture vint.

Cette lecture, comme je l’avais prévu, il me fut impossible de la faire moi-même. À aucun âge de ma vie je n’ai réussi à dompter absolument l’anxiété du crachoir, si vous me permettez de la définir ainsi, mais, à vingt ans, elle me tordait les entrailles dans le ventre et me réduisait au simple balbutiement. Mais Jules Thiénot avait tenu parole, il était là, il prit ma place devant le verre d’eau de la table verte, et il joua la pièce aux sociétaires. Edmond Got (ma marquise) feignait, à s’y tromper, de l’entendre pour la première fois, et Édouard Thierry, expert en rimes, paraissait savourer le romantisme décidé des miennes. Je fus reçu, l’étant d’avance, car on ne l’est jamais autrement, et la ville s’emplit du bruit de ce prodige.

Restait le baccalauréat.

Je l’avais mal préparé, on le croira sans peine, et je fus lamentable au double examen. L’anxiété du crachoir, qu’accroissait la sonorité du vaste amphithéâtre de la Sorbonne, me laissa sans mémoire, presque sans voix, devant des questions qui sont des ponts-aux-ânes de l’instruction, mais on m’aurait demandé mon nom, qui courait pourtant les journaux et les théâtres, que je n’aurais pas su le dire.