Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/379

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deux lunes de paille humide de l’autre, il opta pour celle qui loge, nourrit et relâche, et c’est à ce choix que nous devons La Petite Pantoufle et sa délicieuse préface. Rien ne vaut, dans Labiche et nos auteurs gais, le cri de douleur qu’il en pousse : « Je ne gouvernais plus ma raison, je me suis marié !… »

Je ne me rappelle plus très exactement comment Tin-tun-ling était venu à Paris, mais l’éminent orientaliste Clermont Ganneau pourrait, de l’Institut où il siège, fixer ce point de l’histoire, car ce fut lui qui, l’ayant un jour trouvé dans la rue, sans logis, sans argent, à l’état d’épave, l’amena à Neuilly déjeuner chez Théophile Gautier. Le pauvre Chinois crut voir Khoung-Fou-Tseu lui-même et se prosterna devant lui pour toujours. Il fut ainsi, comme il le dit lui-même, de la maison du poète, ou plutôt de sa « ménagerie intime », entre les chats, les chiens, les oiseaux et les souris blanches de cette arche de Noé, et je ne sais pourquoi le Maître l’a oublié dans la description qu’il nous a laissée de ses bêtes, compagnons du voyage de sa vie.

Ce qui donnait tout son lustre à la ferveur de Tin-tun-ling pour son hôte illustre au « cœur vaste et bienveillant », et, dans la reconnaissance, caractérisait sa manière, c’était que ce qui était à l’un était à l’autre, entre poètes.

Du plus loin que, de la fenêtre, l’une des sœurs le voyait arriver, au haut de la rue de Longchamp, l’autre sœur se précipitait aux armoires et, d’un tour de clef, y mettait à l’abri le contenu dans le contenant. La venue du Chinois était toujours saluée par un bruit de tiroirs fermés. Je n’ai pas connu d’homme ayant l’emprunt plus silencieux que ce Céleste.