Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/398

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et clamant au paradoxe. Mais, au fond, il me donnait raison, car il était beaucoup plus fin lettré qu’il ne le laissait paraître et le mandarin cachait ses boules, pour vivre peut-être.

Oui, n’en doutez pas, le théâtre est aux poètes, il ne saurait être qu’à eux, et seuls ils en sont les maîtres. Ils l’ont créé. Rien de plus aisé pour un bon critique que de retrouver le vers dans la réplique, la strophe dans la scène et le chant dans l’acte. Ils y sont, visibles à l’œil nu et sans loupe. L’âme lyrique souffle dans tous les chefs-d’œuvre dramatiques, et de toutes les langues, et Victor Hugo, qui l’a dit en termes magnifiques, n’a fait que parer un lieu commun déjà vieux au temps d’Eschyle et ressassé sous Aristophane.

Du reste, c’est bien simple. Chez nous, quels sont les ouvrages qui constituent le trésor national de notre « suprématie » (c’est le mot « chauvin », dans l’art du dialogue) ? Je ne parle même pas des monuments classiques où s’attachent les noms rayonnants de Corneille, Racine, Molière et Regnard, ajoutez-y Voltaire, en somme tous des porte-lyres. Mais de nos jours, et depuis l’ère romantique, qui fut une Renaissance littéraire, quelles œuvres s’enchaînent à celles de ces maîtres toujours vivaces et perdurables, vainqueurs des Scribe de leur temps ? Je n’y vois que des noms de poètes : Victor Hugo, Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Émile Augier, Leconte de Lisle, Louis Bouilhet, Théodore de Banville, Auguste Vacquerie, François Coppée, Jean Richepin, Villiers de l’Isle-Adam, Catulle Mendès, et, ce dernier venu, Edmond Rostand, qui tient la torche.