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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/423

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assez singulière où se cristallise cette destinée des Grisi d’avoir toutes été aimées par de grands seigneurs. Aussi belle d’ailleurs que ses illustres cousines, Judith et Julia, elle fut conduite à l’autel par un duc de San-Valentino, de haute noblesse napolitaine, et qui était le gouverneur de Ferdinand II, devenu, sur le trône des Deux-Siciles, le terrible roi Bomba.

Ce Capece Minutolo, duc de San-Valentino, aimait sa femme d’une passion toujours renaissante et jamais assouvie. Quoiqu’il eût eu d’elle quatorze enfants, il ne se couchait pas sans avoir placé, sur la table de nuit, un revolver tout armé à sa portée, afin de défendre son trésor conjugal que personne d’ailleurs ne songeait plus à lui dérober.

De ces quatorze enfants, les mâles étaient divisés étrangement en politique. À l’heure où Garibaldi conduisait les Chemises rouges aux combats de la libération italienne, la moitié des Capece Minutolo, engagée sous l’oriflamme du héros, se trouvait en face de l’autre que le vieux duc menait au service de son élève. Je tiens de l’un d’eux, que j’ai beaucoup connu, qu’au siège de Gaëte, ces frères ennemis, qui d’ailleurs s’adoraient, ne s’épargnèrent ni d’une part ni de l’autre.

— C’était comme au quatorzième siècle, me disait Antonin, et nul d’entre nous n’éteignit la mèche de son arquebuse.

Les deux dernières filles de l’employé au cadastre furent, par ordre d’âge, Ernesta et Carlotta Grisi.

De Carlotta, la dame aux yeux de violette, le souvenir dure à l’Opéra. Il y est commémoré au foyer de la danse par un médaillon, qui n’est pas ressem-