Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/71

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les parents du poète, tendrement subjugués, et les premiers, par le charme chevaleresque, « à la Henri IV », qu’il dégageait en toutes choses et qui s’est plus tard épanoui en popularité.

Par une nuance de crânerie où il se signait déjà tout entier, Paul Déroulède consentait fort bien à ce qu’on lui parlât librement de son illustre maîtresse, mais il n’admettait pas qu’on y fît allusion. Un soir un habitué du théâtre, qui était un fort gros personnage de l’Empire, vint à l’auteur de Juan Strenner, et, avec un sourire diplomatique :

— Y a-t-il longtemps, lui glissa-t-il à mi-voix, que vous n’avez vu notre belle Mme M…?

— Cette nuit même, fit une voix de stentor.

Et le diplomate en resta bouche bée.

Je citerais maints autres mots pareils et par où s’attestait, dès sa vingtième année, l’intrépidité caustique de ce tempérament nettement français et gentilhomme, qui excelle dans l’art dit du : « bas les pattes ». On ne m’ôtera pas de l’idée qu’il est celui qui plaît au peuple. Henri Rochefort est l’homme le mieux élevé comme le plus spirituel de France. Rien à faire pour le poissard Vadé aux Halles ; il y faut un duc de Beaufort ou un Lafayette. C’est par sa distinction innée que Lamartine a vaincu le drapeau rouge au balcon de l’Hôtel de Ville. La racaille aime la race.

Quoique d’origine bourgeoise et fils d’un avoué de Paris, Paul Déroulède est de la même trempe que ces meneurs de foules. Il est né ganté. Il n’est pas singulier que, malgré l’affection qui nous lie depuis tant d’années, il soit le seul de mes camarades de jeunesse que je n’aie jamais tutoyé ? On ne tutoie pas Déroulède.