Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/115

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qui des deux répondre. Les âges indiquaient la différence, l’oncle ayant quarante-six ans et le neveu vingt à peine. Quant aux yeux, miroirs de l’âme, ceux de l’éléphant, minuscules, pétillants d’esprit et de malice, sont les seuls auxquels on pût comparer les mirettes étoilées d’Émile Augier. Et ils scintillaient autour d’un nez en promontoire, appendice de race notoire, qui, par l’aïeul, Pigault-Lebrun, la rattachait certainement à Henri IV, et d’Henri IV, qui sait ? à Don Quichotte. De tels nez, signes visibles des dieux, marquent des destinées. Ils ont le rôle des proues de navires. Ils sont faits pour fendre les flots, les vents, les foules et pour mener des équipages. Rien n’est sans but dans la nature. Illuminé sur chaque profil par les phares étincelants des yeux, le nez du maître livrait le secret de sa maîtrise. Une seule devise convenait à la fois à son talent et à son caractère : droit devant moi.

Ce dîner d’ailleurs fut d’une gaieté charmante. Émile Augier était fort simple de manières et il fit des frais de bonhomie pour me mettre à l’aise. Il me rappela qu’il avait débuté, lui aussi, scandaleusement jeune, et, moins heureux que moi, à l’Odéon. Du reste il n’avait pas vu jouer ma petite pièce (Une Amie) mais Paul la lui avait apportée et il l’avait lue. Il ne lui reprochait que sa « rouerie ». C’est déjà trop habile, me dit-il, ou, si vous voulez, trop appris. Ne restez pas sur le tabouret des enfants prodiges. Vivez pour votre propre compte et trouvez vous-même le quelqu’un qui est en vous et qui doit y être. Et puis vous êtes l’ami de mon neveu, vous n’avez qu’à tirer ma sonnette et la chevillette cherra.

J’ai le souvenir très vivant des convives de ce