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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/124

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correspondance avec l’huissier d’antichambre interrompit le récit du conteur.

— Qu’est-ce que c’est ? tuba-t-il.

Au nom que le valet de chambre lui avait jeté à l’oreille, Dumas s’était tourné vers moi en s’excusant : — Vous permettez ? C’est le septième depuis ce matin, et il n’est que onze heures.

Puis reprenant l’embouchure : — De combien a-t-il besoin ?… Un louis seulement ?… Donnez-le-lui… Non, attendez.

Et sans lâcher le tuyau, il demeurait pensif, dans l’attitude du joueur de flûte antique. — Oui, marmotta-t-il, le pauvre diable, il habite loin et il a dû venir à pied par ce temps affreux ! — Et reprenant la communication avec son domestique : — François… Remettez-lui « les » cinq louis tout de suite… Ça lui épargnera les quatre autres voyages.

Ce trait d’ironie débonnaire où se révèle tout l’homme est celui que je cite de préférence, entre cent autres, pour dépeindre Dumas fils à ceux qui ne l’ont pas connu, car il est typique. Pour le scepticisme dans l’humanité il fait pendant à la scène de Don Juan et du Pauvre, dont la philosophie n’est énigmatique que pour les imbéciles, les provinciaux et les professeurs.

La première fois que j’ai vu ce grand Parisien qui mettait de l’esprit dans la bonté, ce fut aux obsèques de Théophile Gautier, cimetière Montmartre. Le discours qu’il prononça devant les restes du poète de La Comédie de la Mort qu’il avait beaucoup aimé, était empreint de cette émotion mâle et domptée où se signe l’âme des forts, dont le fatalisme est sans larmes. Une poignée de main à l’embarquement pour