Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/145

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moins encore. Je n’ai souvenance que d’une reproduction d’une toile de John Everett Millais, le préraphaëlite anglais, reléguée d’ailleurs dans l’antichambre ; c’était un présent de sa chère nièce Caroline, aussi le laissait-il là par tendresse pour elle mais il ne l’avait certainement jamais regardé. Flaubert avait l’horreur de la peinture. Peut-être l’affectait-il plus qu’il ne l’éprouvait en réalité, et en écartait-il systématiquement la joie. — En fait de paysages j’opère moi-même, déclarait-il, et il ne se vantait pas, il faut en convenir.

Un jour, et si rebelle qu’il fût aux indiscrétions bêtes du reportage, il s’était laissé aller à recevoir chez lui l’un de ses jeunes compatriotes rouennais, son zélateur passionné du reste, mon camarade Pierre Giffard. Or dans le compte rendu de son exploration, le journaliste, croyant plaire au maître, l’avait enrichi d’une collection de tableaux rothschildienne où les anciens disputaient aux modernes les centimètres de ses lambris. La fureur de Flaubert, à la lecture de l’article, était montée à la congestion. — Des tableaux chez moi !… Il en a vu !… Oh ! le scélérat !… Et c’est un « pays ! »… La haine de la littérature !… M’accuser de galerie de peinture ? Que lui ai-je fait ? — Et il resta longtemps convaincu que c’était un coup de la municipalité de Rouen, dont le petit Giffard était le spadassin breveté, à moins que Villemessant n’en fût l’instigateur, ce qui était encore bien possible !…

Personne n’ignore qu’il n’existe et ne reste aucun portrait peint de Gustave Flaubert. Il s’est toujours refusé à toute pose, obstinément, en dépit des instances des êtres les plus chers et des admirateurs les