Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/146

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plus sincères. Il garda jusqu’à la fin le secret de ce refus inexpliqué qui ne fut peut-être qu’une coquetterie. Il avait été dans sa jeunesse d’une beauté merveilleuse, et telle, me contait Gautier, qu’à Rouen lorsqu’il entrait au théâtre, avec sa sœur, toute la salle se levait pour les applaudir. De cette beauté il ne lui restait que les yeux, seuls indemnes du ravage d’un mal mystérieux qu’il parvint à celer aux plus intimes. L’icône unique que nous ayons de cet homme aimé des dieux est le dessin à la plume d’Ernest de Liphart, reproduit dans les éditions posthumes de son œuvre. C’est à moi qu’on en doit l’aubaine, voici comment.

Je passais un jour, rue Drouot, devant la boutique d’un bric-à-brac, lorsqu’à la porte j’avisai une boîte à dix centimes, où, parmi maints objets de rebut, il y avait de vieilles cartes photographiques. Elles provenaient à peu près toutes du fonds Carjat, et, quoique la plupart fussent des portraits d’homme, diversement célèbres, aucune ne portait d’indication nominative. Je ne m’expliquais que par cette raison le dédain des passants et du marchand lui-même pour ces documents iconographiques, lorsque l’une des cartes m’arracha un cri de joie tempéré de stupeur. Une photographie de Gustave Flaubert !…

Ainsi donc, la légende était fausse. Quand il se défendait de toute portraiture, il avait posé chez Carjat. Et non seulement il avait posé chez Carjat, mais il lui avait consenti trois poses. Les trois portraits étaient là, en trois épreuves, dans le tas à deux sous. Vous pensez si je m’en enrichis sans marchander, et je ne crois pas avoir besoin de vous dire si je les ai gardées ! Elles sont uniques, tout simplement.