Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/147

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Certes, il n’y avait pas lieu de les utiliser pour convaincre le bon géant de blague. Je suis de ceux qui tiennent pour des lois les caprices mêmes des maîtres. S’il voulait que la postérité fût privée de ses traits, c’était ne pas l’aimer que le trahir, et je l’aimais de tout mon cœur. Les trois photographies sont demeurées invisibles chez moi jusqu’à sa mort.

Il me démangeait toutefois de savoir si le veto était vraiment irréductible et j’eus recours, pour l’apprendre, à un moyen de comédie. Après avoir exécuté tant bien que mal une copie à l’huile de la plus ressemblante des trois photos et l’avoir poncée à sec pour la glacer de la patine du temps, je l’apportai un dimanche, sous le bras, au « grenier » de Flaubert.

— Voici ce que j’ai déniché, fis-je, à l’hôtel Drouot, à une vente par autorité de justice, ou après décès, je ne sais plus, car le possesseur est ou était un malheureux peintre normand, et même de Rouen, si j’ai bien entendu le commissaire-priseur qui bredouillait. J’ai pensé bien faire en acquérant la toile, soit pour la supprimer, soit pour l’offrir au modèle.

— Oui, dit Edmond de Goncourt, c’est de la fichue peinture, mais il n’y a pas à dire, voyez donc, Flaubert, c’est vous ?

— Pas si mauvaise, la peinture, releva Émile Zola, que j’aurais embrassé pour ce jugement, mais la ressemblance, selon moi, est plus douteuse.

— Il y a quelque chose, équilibra Tourgueneff, comme d’un frère… mais naturel… à l’imaginer… par exemple.

Daudet avait ensourcillé son monocle et me regardait en dessous. Maupassant m’aurait dévoré tout cru.