Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/223

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Car le café Riche était le gîte familier où Gustave Claudin avait élu et tenait ses assises boulevardières. En moins d’un quart d’heure de temps l’auteur de : Entre minuit et une heure, étude sur la vie « dorée », me rabattait mon rêve bucolique et virgilien, et je redevenais assez bête pour croire à l’atmosphère géniale de l’asphalte, à l’esprit des réverbères et à la blague du nombril du Monde, qui n’est pas un ventre.

Gustave Claudin, ayant vingt-deux ans de plus que moi, je n’avais pu le voir rayonner dans sa gloire, quand, Pétrone du Second Empire, il était l’arbitre des élégances et plastronnait aux Tuileries. Je dois même confesser qu’avant notre premier accrochement de monades, oncques n’avais lu ligne de son encre. J’ai d’ailleurs cru devoir persister dans cette réserve pour ne pas me gâter une image abstraite de boulevardier qui remplit mon idéal du type. Le boulevardier parfait n’écrit pas, ou, s’il a écrit, il cesse tout de suite d’écrire, au premier tour sur l’asphalte atmosphérique du nombril, tel cet admirable Adolphe Gaiffe, qui, après avoir collaboré à L’Événement de Victor Hugo, brisa sa plume pour n’être que le plus beau et le plus spirituel Alcibiade de la décadence. Le pauvre Gustave Claudin, lui, écrivait tout le temps et pour cause, mais il lui restait la fierté de ne pas vendre ses écritures, et de borner son débit au plus fastueux service de presse. Je l’aimais pour ce rossignolisme de librairie dont j’étais moi-même un bulbul.

Je ne me rappelle pas très exactement les circonstances qui nous révélèrent l’un à l’autre, mais ce dont je suis sûr c’est qu’aux premiers mots il me fit grand d’Espagne. Le tutoiement est un signe de ral-