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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/254

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temps. Bien avant Jean Lorrain et sans son talent d’écrivain, il avait renoué avec l’art de Tallemant des Réaux, maître des alcôvistes — et son succès fut considérable, tel enfin qu’il devait infailliblement l’être à l’aube de notre grande ère pornographique. Puis, l’œuvre accomplie, il disparut, hélas, avec elle. Il n’est même pas dans le Larousse ! Ça, c’est trop, il était électeur et contribuable.

Bachaumont était un fou, charmant, mais un fou en trois lettres, d’une démence propre à la ville des villes, qui ne se révèle que là et y rallie la sympathie générale. Ce rêveur éveillé, comme celui du conte arabe, avait toujours le million à la main. Il le distribuait toute la journée à ses amis et connaissances, et, quand il n’y en avait plus, il y en avait encore. J’ai calculé que si je lui avais rendu les sommes qu’il m’avait octroyées sur les boulevards, sans reçus et du bout de la cigarette, il m’aurait fallu emprunter dix-huit cent mille francs à la Banque de France qui, d’ailleurs, ne me les aurait prêtés ni sous ce prétexte ni sous aucun autre. Émouvant et cocasse, ce coquecigrue au nez énorme, plus tuberculeux que celui du Ghirlandajo du Louvre, était sincèrement convaincu que, à Paris, le moindre producteur n’a qu’à donner du talon sur l’asphalte pour en faire surgir des banquiers asservis et signant, au vol, des chèques innombrables sur les genoux.

Ah ça ! mais, s’écriait-il, vous avez l’air d’en douter ? Diable, diable, prenez garde, vous passez pour homme d’esprit. Vous y jouez votre réputation, mon cher. À ce propos, je voulais vous dire, vous ne portez donc pas votre rosette ?

— Ma rosette ? Non, quelle rosette ?