Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/267

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de Rodin ne sort pas tout armée d’une absinthe à la suite d’une partie de dominos. Elle suppose, je dirai même elle nécessite un travail d’assimilation très profonde de l’idée de l’écrivain, une observation attentive des phénomènes contingents de la vie réelle et des méditations assez assidues sur le geste, la plastique, le costume et la diction théâtraux. Lorsque Paulin-Ménier s’ingère de vouloir nous montrer Rodin, tel qu’Eugène Sue l’a conçu, ce n’est pas un jésuite de robe courte quelconque, un passant en soutanelle, qu’il cherche à exquisser sous nos yeux, c’est tout le jésuitisme résumé à un type, une grande synthèse pittoresque ; car il est d’une génération où l’on croyait encore que l’art dramatique est un art et non pas une branche de l’industrie des belles cuisses.

Rodin est une figure terrible, une sorte de Marat du Gesù, opérant dans l’ombre, fanatique, puissant par la haine et la sordidité. Il manipule dans les ténèbres tous les serpents de l’envie, de la cupidité, de l’orgueil immense. Son idéal est ce Sixte-Quint qui, de porcher, devint pape. Retors, louche et glissant, il monte en rampant, comme une larve froide, sans laisser derrière lui les traces d’une bave qu’il avale. Il travaille dans le noir et dans le visqueux ; il a les ongles sales, éternellement, de ses besognes de taupe et de nécrophage. Il exhale l’odeur fade du vampire, il en a la face verte, les yeux de braise incandescente, la maigreur effrayante et les gibbosités indécises. Certes ! si Eugène Sue avait su tremper une pareille conception dans les eaux vivifiantes du style, ce Rodin serait immortel, comme l’est Tartuffe et comme l’est Shylock. Mais ce que n’a pas fait