Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/268

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l’écrivain, c’est le comédien, cette fois, qui lui rend le service de le faire.

L’habillement est caractéristique : sur des jambes grêles et qui semblent hypothétiques, les pantalons se concassent et font des plis de voile qu’on referme. Ces deux échalas noueux et verruqueux prennent équilibre sur le sol par des souliers plats, que vont percer les griffes de la bête. Un affreux gilet de ton glauque s’étage à petites rides sur le squelette de la poitrine rentrée et comme défoncée. Le dos se courbe sous le poids d’une vieille houppelande marron, huileuse, tachée, flétrie, qui flotte et s’effiloche, et se rebrousse, comme le plumage d’un oiseau malade. À cette redingote est attaché un col de velours brun, qui gode derrière la tête et forme une sorte d’excroissance cartilagineuse, graissée éternellement par les poils d’un occiput en transpiration. Autour du cou, je ne sais quoi d’innommable s’enroule, moitié cravate, moitié corde de pendu, et l’absence de tout linge blanc chante partout un hymne fanatique à la saleté. J’allais oublier le chapeau, ce chapeau monstrueux, qui n’a jamais existé que dans les rêves d’un brocanteur en délire, ce chapeau sans forme et sans couleur, d’une hauteur vague, d’une coupe sans arêtes, et qui semble résoudre la quadrature du cercle sur le crâne anti-géométrique de Rodin.

L’ensemble échappe à toute description. Imaginez l’union épouvantable d’une mandrille avec un de ces vautours d’Afrique qu’on appelle « secrétaires » : le produit qui en sortira, ce sera ce Rodin de Paulin-Ménier. La tête est à l’avenant, tête parcheminée, crasseuse, hâlée par la fumée des quinquets, jaunâtre,