Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/270

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lequel ses pouvoirs lui sont déférés ; lorsque, de simple et obscur jésuite de basses-œuvres, il se relève omnipotent et dominateur et dicte au gentilhomme ses ordres impérieux ; lorsqu’il lui dévoile les abîmes de son orgueil, de sa haine du genre humain, de sa virginité sinistre, un frisson vous passe dans l’épine dorsale à ses cris de chacal joyeux, et tenant son cadavre dans les crocs.

Et quel tableau encore, digne d’un Rembrandt, que celui où, jouant à l’ascétisme et au dédain des soucis terrestres, il s’attable devant son repas de pauvre, et, la tête penchée, la bouche en cul de poule, il se met à peler lentement, méthodiquement, son gros radis noir. La création est pleine de ces trouvailles expressives. Une observation cependant. À plusieurs reprises et dans les instants où, seul en scène, il se laisse aller au plaisir de voir réussir ses combinaisons, il croit devoir témoigner de ce plaisir en se frottant les mains. Ce geste détonne un peu avec le caractère. Un Rodin ne se frotte pas les mains, ce me semble ; telle n’est pas la juste manifestation physiologique de la joie chez un être de cette espèce sournoise et renfermée.

Ceux qui sortent du Conservatoire s’imaginent qu’ils ont tout appris dans cette académie, et que les rôles seuls leur manquent pour égaler leurs anciens. En attendant ces rôles, ils vont et viennent, d’un théâtre à un autre, vaniteux de leur jeunesse, occupés de leurs liaisons, cherchant qui le sociétariat, qui le mariage riche et tous les gros appointements. Les uns partent pour l’étranger, où sont les riches tabatières ; les autres courent le cachet dans les salons, et monologuisent devant des pianos consternés. On en voit