Aller au contenu

Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La place Verte (centre aristocratique de la ville), la place du Meir, celle de l’Hôtel-de-ville, celle encore de la Commune, toutes les places enfin sont occupées par des échafaudages arachnéens, qui sont des carcasses d’arcs de triomphe et de portes pavoisées. Le soleil emmêle là dedans ses rayons et fait scintiller bizarrement l’or pâle des dentelures de sapin. Des ouvriers, suspendus à des fils, se balancent à travers ces immenses cages à poulets, et la population, bouche béante, les regarde avec ce flegme flamand qu’elle a même devant les culbutes désopilantes des singes du Jardin zoologique. Aux fenêtres des maisons principales, on place de longues perches bariolées, assez semblables à d’immenses mirlitons, et qui sont destinées à soutenir des drapeaux et des oriflammes. L’effet sera fort beau quand ils flotteront, par masses multicolores, sur le cortège, et lui formeront une sorte de dais mouvant. Mais ce qui prête à ces préparatifs un charme particulier, c’est la figure heureuse de chaque habitant. On sent que les Anversois comptent beaucoup sur cette fête qu’ils donnent. Quand nous passons à côté d’eux, ils nous regardent avec un sourire moitié narquois et moitié attendri, qui signifie ceci : « A-t-il du nez, celui-là, d’être venu ! C’est un malin qui flaire les bons endroits ! »

D’ailleurs, il faut rendre justice aux Anversois : ils font consciencieusement les choses. Il s’agissait de fêter Rubens, et je te réponds qu’ils ne s’y ménagent point. Tout est baptisé, pour l’occasion, du nom de l’artiste national ; les murs étalent en tous sens, en toutes couleurs et dans toutes les langues, les six lettres flamboyantes de ce nom glorieux. On