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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/13

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vend des cigares Rubens, des élixirs de Rubens qui sont de vagues « surinams » où l’eau brune de l’Escaut se mêle à des alcools problématiques, des nœuds de cravates ornés du portrait de Rubens avec le grand feutre traditionnel. Les rues, les maisons, les encoignures avec leurs pittoresques madones, les flèches des églises d’où s’envolent des carillons joyeux, les fenêtres voilées de transparents brodés, les baraques aux voiles couleur d’amadou qui filent le long du quai Van Dyck, les hôtels, les cafés, les estaminets flamands du port où l’on débite de la bière d’orge et les harengs salés, tout chante et acclame Peter-Pauwel Rubens !

S’il n’y a pas abus, il y a du moins obsession, et le samoyède qui tomberait ici sans être prévenu pourrait croire que le mot Rubens est, lui aussi, le fond de la langue brabançonne. Mais ce qui sauve tout, je te l’ai dit, c’est la sincérité. Nous avons, d’ailleurs, Kæmmerer et moi, sur les voyages, les mêmes idées que Théophile Gautier, ton père. À Anvers, nous sommes Anversois, comme nous serons demain Amsterdamois à Amsterdam ; c’est la seule manière de tirer profit de ce que l’on voit et d’être heureux sur les routes. Aussi, lorsque après avoir acheté un programme des fêtes à chacun des galopins qui nous les fourrent dans le gilet (et Dieu seul et Rubens savent s’ils sont nombrables !), après avoir accepté des petites bouquetières les fleurs encadrant des photographies de Rubens, et des marchands ambulants les couronnes de laurier surmontées d’un petit drapeau et traversées par un oiseau en sucre, si d’autres galopins et d’autres bouquetières nous imposent leurs marchandises, nous leur en prenons