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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/126

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pas comme ça, me disait-il, qu’ils voient l’Espagne. Tous les cafés gémissent, et L’Illustration, notre rivale, triomphe. Et il m’expliquait qu’en France l’image est avant tout conventionnelle et déjà vue et qu’un abonné doit dire à son aspect : « Voilà comment je l’aurais dessinée, moi, si je savais ! »

— « Et que répondiez-vous à Yriarte ?

— « Rien. Je lui montrais à tenir les castagnettes, qui doivent s’accrocher au pouce et être touchées du bout des doigts, dans la paume, comme le violon. »

Et le Siège vint. Daniel Vierge s’était laissé emmurer avec nous, résolu à partager tous les maux de la ville hospitalière. Un sac de garbanzos, un boisseau de piments, un cahier de « papel’ de ilo » et la guitare suffisent à tout bon Espagnol pour tenir six mois dans une Saragosse. Le seul ennui qui le gênait, c’était de ne pas manier assez aisément encore la langue complexe de ses hôtes. L’Amour, qui protège la France, pourvut à la difficulté, non sans en ajouter une autre, en déposant sur le palier commun le doux lexique d’une institutrice blonde qu’il devait feuilleter jusqu’à sa mort.

À la première bombe qui tomba dans Paris, rue du Cherche-Midi, sur un mur de couvent, Vierge qui demeurait à cent pas de ce mur foudroyé, s’élança le carnet au poing, à la rencontre de la deuxième. La grêle de pains de sucre bismarckiens crépitait déjà dans le sixième, où les chaussées n’en étaient pas plus sauves que les toitures, de telle sorte que, saisis de panique folle, nombre de bonnes gens du quartier s’étaient réfugiés pêle-mêle dans les cryptes du Panthéon comme les premiers chrétiens dans les catacombes. L’actualité était là.