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Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/129

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à la stupidité des foules en tout temps mais magnifiées en temps de siège jusqu’à l’aberration nationale. C’était l’une des plus rudes journées du grand hiver, et l’Andalou, frileux comme une chatte, avait, par-dessus sa houppelande, endossé sa cape à sérénades, plus un cache-nez de laine tricoté par une main chère, et, coiffé de la loutre d’un passe-montagne, il était allé à la chasse des motifs et tableaux de Paris. Intéressé par le pittoresque d’un piquet de gardes nationaux campés place du Carrousel, sous l’arc de Bosio, il avait tiré son carnet et il dessinait, debout, ses patriotiques modèles.

Naturellement, et je n’ai pas besoin de vous le dire, il leur était apparu en espion prussien, d’autant plus reconnaissable qu’il se dissimulait davantage sous un déguisement de marchand d’habits. Une rumeur de mauvais augure courait autour de lui et il se sentait carabiné de regards farouches.

— Hum… qui êtes-vous ?

— Moi ? Ze souis Vierge.

— C’est ça dont on se fout que tu sois vierge. Qu’est-ce que c’est que tu fais là ? Tu prends des notes ?

— En espagnol.

— Ou en allemand. Oust ! tu t’expliqueras au poste. Et ils l’emmenèrent, à sa grande hilarité d’ailleurs. « — Rien de plus drôle si, dans ce violon, il n’eût fait un froid de pôle arctique. Une heure, deux heures, personne ne venait m’interroger, on m’avait laissé là comme un paquet de linge sale. Pour me distraire d’abord et ensuite par profession, j’offris au factionnaire de le portraiturer. Tous les Français aiment qu’on les « tire », surtout en militaires. J’exa-