Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/130

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gérai le caractère guerrier du bonhomme et j’obtins de sa binette bourgeoise un grenadier de la vieille garde impériale à la retraite de Russie. Il me demanda le portrait pour sa femme, et il courut le montrer aux camarades. En un instant je fus entouré de gardes nationaux, comme Salvator Rosa de brigands dans les Abruzzes. »

Mais cette magnifique séance avait été interrompue par la survenue d’un sergent, indocile aux arts, qui avait signifié au Salvator Rosa la nécessité de le conduire à la mairie, l’honneur d’être vierge ne constituant pas un titre suffisant à la nationalité française. Comme l’artiste d’ailleurs le prenait irrésistiblement à la blague, et que la gaieté est un signe d’innocence, il obtint assez aisément que les quatre hommes qui l’escortaient à la mairie marcheraient sur un trottoir, tandis qu’il irait parallèlement sur l’autre, et que, espion prussien ou non, il éviterait ainsi d’être massacré sans phrases par une population qui ne savait pas l’espagnol. Il fit ainsi la rue de Rivoli sous les arcades, surveillé du trottoir du Louvre, par quatre fusils attentifs. — « Je rencontrais presque à chaque pilier des amis et connaissances devant qui je passais sans m’arrêter et qui restaient interdits de ma froideur inexplicable. — Eh bien ! disaient-ils en me tendant la main. — Impossible, ils me fusilleraient !… Et j’allais, comme le Juif Errant, sous l’œil de la Garde nationale. Mais quelle situation, cher ami, lorsque, devant moi, à dix pas, je vis venir à ma rencontre, devinez qui ?… M. Paul Dalloz, mon directeur du Monde Illustré. M’arrêter, c’était la mort. Ne pas m’arrêter, c’était mon congé du journal. Or, il me barra la route. —