Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/133

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ce qu’il y avait à Paris d’artistes des « quatre-z-arts », et que nous aurions pu donner la fête à nous seuls. Mes petites expositions autonomes avaient eu ce résultat d’attirer, dans notre hall d’abord, puis à notre rédaction, tous ceux qui, maîtres déjà ou en passe de le devenir, s’y amenaient les uns les autres comme par le bras. Il y avait des jours où, de cinq à sept, il était impossible, dans mon cabinet, de s’entendre, et des gens de l’Institut y disputaient aux impressionnistes les douze crachoirs de l’esthétique transcendante et vocifératoire. C’était d’ailleurs au milieu du tumulte que mon René Delorme, impassible, composait son numéro, pareil à quelque Pline sous les laves d’un Vésuve, tel qu’on rêve ce naturaliste pour un concours de Rome.

Le gros obstacle à notre triomphe sur les « illustrés » rivaux était l’absence de cette galette dont le mont Martre tourne aux quatre vents le moulin symbolique ; hélas ! ils en étaient, eux, abondamment pourvus. Ou notre pavillon serait le plus beau pavillon, ou il fallait nous terrer et boire la honte de notre misère en silence.

— Je me charge de tout, sonna Daniel Vierge. La redoute est donnée au profit de mes compatriotes. Puisque Martin Rico est à Venise, je suis le seul Espagnol de la rédaction. Donc à moi l’honneur et laissez-moi faire.

Il eut carte blanche, cela va sans dire. Pendant trois semaines, il s’enferma dans son atelier, verrou tiré pour tout visiteur, et pour moi-même. Il s’était fait menuisier, tourneur, ciseleur-ornemaniste, peintre-décorateur, tailleur d’étoffes, soie, velours, brocart, costumier, doreur et brodeur héraldique.